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"Première" (Juin 2000) - Interview : Christian Jauberty

 

UN CROWE BOY DANS L'ARÈNE

Après sa nomination aux Oscars dans "Révélations",
il se retrouve dans l'arène des héros de blockbusters avec
"Gladiator".

 

PremiereRussell Crowe donne facilement l'impression que, s'il avait le choix entre parler à la presse et se faire arracher une dent, il se mettrait plus volontiers entre les mains du dentiste. Mais vu la tournure que prend sa carrière, il se retrouverait vite au régime bouillie-purée. Cinq ans après la sortie de son premier film américain, il est devenu, en l'espace de quelques mois, l'un des acteurs les plus en vue. Le succès de Gladiator au box-office américain le fait entrer dans le club des stars sur lesquelles les studios sont prêts à investir massivement, de préférence dans les grands films d'action qui restent le principal produit d'appel d'Hollywood. Ce club, déjà très fermé, pourrait tenir ses assemblées générales dans une cabine téléphonique s'il était requis, pour en faire partie, d'avoir reçu une nomination à l'oscar du meilleur acteur, comme Russell Crowe cette année avec Révélations, de Michael Mann. "C'est un grand honneur. Beaucoup de gens ont eu des carrières formidables sans recevoir cette marque de reconnaissance de leurs pairs. Mais je ne vais pas me monter la tête pour autant", dit-il, comme tout Australien mettant un point d'honneur à ne rien laisser lui monter à la tête.

Crowe est né il y a trente-six ans en Nouvelle-Zélande, mais il a grandi en Australie où il possède un lopin de terre avec du bétail dans la région de Sydney. Son grand-père maternel était cameraman, ses parents cantiniers sur les tournages, et la vocation du petit Russell à faire carrière dans le show-business n'a jamais fait de doute. Enfant, il fait de la figuration et décroche son premier rôle à 6 ans dans une série télé. Dix ans plus tard, on le retrouve chanteur sous le pseudonyme de Rus Le Roq sur la pochette d'un 45 tours au titre sans équivoque : "I wanna be like Marlon Brando". Depuis, le virus du rock and roll ne l'a pas quitté. Avec le groupe 30 Odd Foot of Grunts, dont il est à la fois chanteur, parolier et guitariste, il a enregistré plusieurs disques qu'on peut commander sur le site web du groupe (http://www.gruntland.com/). Ses multiples talents lui ont valu de jouer le rôle principal de The Rocky Horror Picture Show dans plus de quatre cents représentations avant de décrocher son premier rôle au cinéma dans Prisoners of the Sun (90). Son interprétation d'un personnage de skinhead néo-nazi dans Romper Stomper (92) est remarquée par Sharon Stone, qui glisse un mot en sa faveur lors du casting de Mort ou Vif (95), lui permettant ainsi de prendre pied à Hollywood.

Il excelle dans les personnages violents, tourmentés par un conflit intérieur, comme le policier Bud White de L.A. Confidential (97) ou le général Maximus de Gladiator.

 

CROWE N'EST PAS COMMODE

Au naturel, Russell Crowe est assez intimidant. On l'a vu récemment assister à la cérémonie des Golden Globes au bras de Jodie Foster, qui n'est pas le genre de fille à s'acoquiner avec des brutes. Et il s'est assuré la sympathie de l'équipe de Gladiator en offrant des dîners et en emmenant tout le monde au foot et aux courses pendant le tournage. Mais quelques indiscrétions provenant des techniciens et des rumeurs de rixes dans des bars ont fait les choux gras des rubriques de potins et laissent croire que l'homme n'est pas toujours commode. "Les bons acteurs ne sont jamais faciles", explique Ridley Scott avec qui Crowe a eu quelques discussions animées quand l'intérêt du film et celui du personnage principal semblaient diverger.

La proposition de Gladiator est arrivée pendant le tournage de Révélations. Russell Crowe, qui était complètement dans la peau de Jeffrey Wigand, a failli refuser pour ne pas se laisser distraire. Il semble que ce soit Michael Mann lui-même qui l'en ait dissuadé. "D'habitude, je prends ma décision à la lecture du scénario. Je fais les films qui me donnent la chair de poule quand je les lis. Mais, pour celui-ci, je me suis décidé sur l'idée. On m'a téléphoné pour me dire : 'Nous n'allons pas vous faire lire le scénario, d'abord parce que nous pensons qu'il ne va pas vous plaire en l'état. Mais voilà l'idée : Ridley Scott, 185 après Jésus-Christ, et, au début du film, vous êtes un général romain.' Ça a suffi à me convaincre de vouloir en discuter avec Ridley parce que ça parlait à mon imagination et que c'était une occasion de travailler avec celui que Michael Mann décrit comme l'un des meilleurs filmeurs de l'histoire du cinéma. Et là, je suis d'accord avec lui..."

Quand, finalement, il a eu le scénario en main, celui-ci ne satisfaisait personne. "Il restait beaucoup de détails à régler. Nous avons en quelque sorte démonté le scénario pour le réassembler sous la forme d'une narration qui nous convienne, à Ridley et à moi." Et c'est probablement de cette collaboration entre un réalisateur réputé pour faire des films visuellement époustouflants mais avec des personnages un peu plats, et un acteur attentif à un degré obsessionnel au développement de ses personnages que s'est forgé le succès de Gladiator. "Un des problèmes que nous avons rencontrés est cette idée que Maximus prend conscience du pouvoir que lui confère le public du cirque. Ça ne me semblait pas être son genre. Ça commence au Maroc, quand il décide de donner une leçon aux spectateurs assoiffés de sang pendant le combat qui se termine par la décapitation à deux épées. Maximus crache vers la foule parce que c'est la seule façon qu'il a d'exprimer son dégoût et qu'il ne peut pas prendre les spectateurs un par un pour en discuter. C'est un gladiateur. Il est dans l'arène et il doit tuer. Alors, il décide de le faire de la manière la plus brutale possible pour exprimer son point de vue. Mais, après avoir jeté son glaive et craché son mépris à la foule, il réalise que le public, loin d'être choqué, a adoré. Cette découverte le bouleverse... C'est également à ce point-là de l'histoire que nous avons décidé que le personnage serait un agriculteur, qu'il viendrait de la campagne. Il se frotte toujours les mains avec de la terre avant de combattre. Pour moi, c'est une manière de garder à l'esprit qui il est au moment d'affronter la mort. Et ça signifie aussi 'Max est de retour et il va y avoir du grabuge', mais sans le dire, sans une de ces répliques que vous auriez peut-être trouvées dans sa bouche si le film avait été réalisé par un Américain."

 

"RIDLEY ME VOULAIT TRAPU..."

Gladiator est une fiction qui n'aspire pas à l'exactitude historique. Mais il y a eu des gladiateurs. Et un empereur Commode, réputé pour sa cruauté et sa folie, qui aimait se donner en spectacle dans l'arène du cirque. Et Marc Aurèle, père de Commode, empereur et philosophe. Soucieux de réalisme et de plausibilité, Russell Crowe s'est plongé dans les manuels d'histoire et les méandres de la philosophie stoïcienne. "L'histoire était l'une des seules matières dans laquelle j'étais bon à l'école. Pour moi, Max est un disciple de Marc Aurèle. Ce qui m'a conduit à utiliser son livre, Les Pensées, dont certaines répliques du film sont directement tirées. Je vois Maximus comme un soldat sans attache politique, qui n'a de loyauté que pour Marc Aurèle. C'est une période très étrange et très intéressante de l'histoire, avec une conscience sociale et politique remarquable et des inventions extraordinaires, qu'il faut mettre en parallèle avec la brutalité de leurs distractions sportives... Beaucoup de choses ont changé depuis ce temps-là. Les véhicules ont changé. On est passé du char à la Ferrari. Mais pour ce qui est des relations humaines, de la gamme des émotions et des désirs, ça n'a guère évolué. On a seulement fait des progrès dans les moyens d'acheminer le spectacle de la violence jusque dans nos maisons. Plus besoin de sortir..."

Après avoir pris vingt kilos et vingt ans pour jouer, tout en intériorité, le personnage de Jeffrey Wigand dans Révélations, Russell Crowe a dû changer de régime et se soumettre à un entraînement rigoureux pour satisfaire aux exigences physiques du rôle de Maximus. "J'avais fait un peu d'escrime avant. Mais le maître d'armes, Nick Powell, m'a patiemment expliqué que l'escrime n'avait pas encore été inventée en l'an 185 ; alors il a fallu tout reprendre de zéro. Mais c'est beaucoup plus simple que l'escrime. Il n'y a qu'un nombre limité de mouvements que vous pouvez faire avec un glaive. Ce que j'ai essayé de faire, c'est d'être capable de l'utiliser indifféremment des deux mains : je pense qu'un soldat professionnel qui utilise son arme sans arrêt doit, tôt ou tard, changer de main pour être capable de se défendre de tous les côtés parce qu'on ne sait jamais d'où peuvent venir les attaques. Nick est venu en Australie passer quelques semaines avec moi et nous avons commencé à travailler... Je voulais me créer un corps capable de faire tout ce que mon personnage doit faire, mais pas comme ceux qu'on sculpte dans les salles de musculation contemporaines. Après notre rencontre en Angleterre, Ridley m'a envoyé un message pour me demander de ne plus perdre de poids. Il me voulait trapu... Le tournage a été une expérience physiquement éprouvante. Au départ, sur le papier, nous avions prévu un répit d'environ sept jours entre les scènes de combats pour avoir le temps de récupérer et de répéter pour la suivante. Mais au bout du compte, avec tous les imprévus qui surviennent toujours pendant un tournage, nous nous sommes retrouvés à les enchaîner. J'affrontais les tigres dans la journée et je préparais la scène suivante, le soir, avec le coordinateur des combats, le maître d'armes, le responsable des chevaux... Physiquement, ça laisse des traces. Avec le recul, c'est aussi ce qui rend l'expérience inoubliable. Mais, sur le coup, quand vous vous regardez dans la glace et que vous avez le tendon du biceps qui sort de l'épaule du mauvais côté, vous vous demandez quand même : 'Qu'est-ce que je fous là ?'"

 

MAX CONTRE LES TIGRES

La question se pose avec au moins autant d'acuité lorsqu'on tourne avec des tigres. "Ce sont des créatures magnifiques, mais qui ne font pas toujours ce qu'on leur demande. Du coup, il a fallu douze jours pour tourner les scènes avec eux alors qu'on n'en avait prévu que six. Il y a eu quelques moments où c'était limite. On utilisait une chaîne tenue par trois hommes pour limiter leurs mouvements vers l'avant. Ce qui marche très bien tant que le tigre veut aller vers l'avant. Un jour où les mecs l'avait tiré un peu fort, le tigre s'est dit : 'Si vous ne voulez pas que j'aille par là, je vais plutôt venir vers vous.' Deux des types ont fait ce qu'on leur avait indiqué de faire dans ces cas-là : rester immobile et baisser la tête. Mais le troisième a pris peur. Il a fait deux pas, le tigre était sur lui. Bang, par terre ! Et le tigre voulait seulement jouer. Mais vous savez comment sont les chats... Il joue pendant un moment et, tout d'un coup, il peut vous arracher la tête... Une autre fois, au moment où la porte des tigres s'ouvrait, j'étais en plein combat avec Sven [Sven-Ole Thorsen]. Il portait son casque, un machin vraiment lourd, sans vision périphérique. Je me suis aperçu que le signal pour les tigres avait été donné un peu trop tôt et j'ai commencé à accélérer le rythme. Nos mouvements étaient réglés comme une chorégraphie. Parce qu'il n'avait pas vu ce qui se passait, au lieu de suivre le tempo, Sven s'est arrêté pour demander ce qui se passait. Et avant qu'il ait pu réaliser, le tigre était sur lui. Il lui a donné un grand coup de patte sur les fesses. Heureusement pour lui, c'était un des tigres dont les griffes avaient été retirées. Sinon, il aurait gardé les marques toute sa vie. Après ça, je peux vous dire qu'il a appris beaucoup mieux à se débrouiller avec le casque..."

 

"JE VAIS À LA MINE ET JE FAIS MON TRAVAIL."

Débarrassé de sa cuirasse, Crowe ne baisse pas la garde pour autant et se ferme comme une huître dès que les questions se font un tant soit peu personnelles. Comme quand on lui demande d'établir une comparaison entre le pouvoir qu'un gladiateur victorieux exerce sur le public du cirque et celui qu'une vedette de cinéma exerce sur les spectateurs. "Etre une vedette, avoir le rôle principal dans un film, ne correspond pas pour moi à l'idée que les gens peuvent s'en faire. Ce n'est pas un fantasme, c'est une réalité. C'est mon boulot. Je vais dans différents endroits du monde, je fais des films, je joue des rôles. Je vais à la mine et je fais mon travail. Je ne me mêle pas des luttes de pouvoir autour du business. Je suis un peu en dehors de ces circuits-là. Je ne connais pas grand-monde parce que je ne vis pas à Los Angeles. J'y passe, en route vers d'autres lieux où je vais faire mon travail." Des lieux comme la Pologne, l'Angleterre et l'Equateur où l'a entraîné le tournage de Proof of Life, un film de Taylor Hackford qu'il termine actuellement. "C'est l'histoire d'une femme [Meg Ryan], qui a une aventure avec le négociateur chargé d'obtenir la libération de son mari lors d'une prise d'otages. C'est un rôle dramatique pour Meg, pas une comédie... Le projet que je ferai ensuite est un film intitulé Flora Plum, réalisé par Jodie Foster avec un tout petit budget et dans lequel je joue un monstre de foire. Qui dit petit budget dit petit salaire, mais ça n'a jamais été ma préoccupation principale."