"Hey, Mate !" L'accent est irrésistiblement australien, gouailleur et masculin. C'est ainsi que Russell Crowe interpelle ceux qui l'interviewent, un sourire moqueur en coin, son regard vert pâle, scrutateur et ironique. Il dégage cette virilité tranquille et sans affectation qui n'a pas besoin de musculature hypertrophiée ni de physique baraqué pour imposer son charisme. Non, Russell Crowe est ainsi : nature, sans fatuité, bon vivant, fumeur invétéré et amateur de bière convaincu. On le croit bourru, il est plutôt direct, s'installant d'emblée dans une conversation amicale, à la fois concentré et blagueur, dénué de vernis factice. Mélange charmeur irrésistible qu'il assume sans gêne. Même si la majorité du grand public l'a découvert en flic brutal dans "L.A. Confidential", Crowe a fait ses preuves depuis longtemps en Australie, au théâtre et à coups de films indépendants. En fait, son premier rôle, il l'avait décroché à l'âge de six ans dans une série télé. Et sa spectaculaire prestation face à Pacino dans "Révélations" lui a valu une nomination méritée à l'Oscar en mars dernier.
Changement d'époque dans "Gladiator" de Ridley Scott, où il descend dans l'arène. Un grand spectacle épique et spectaculaire se déroulant dans la Rome antique à l'époque où les jeux du cirque étaient le passe-temps favori des empereurs dépravés et d'un peuple affamé de plaisirs sanguinaires. Plus exactement pendant le règne de Commodus, successeur de Marc Aurèle le stoïcien, en 180 après J.-C. Hollywood n'avait plus touché au péplum depuis des lustres, échaudé par un genre ridiculisé au fil du temps après les débâcles conjuguées de "Cléopâtre, "Barabbas" et autres "Sodome et Gomorrhe"... Scott signe là un "Spartacus" pour la génération MTV. Crowe incarne Maximus, général limogé contraint de se reconvertir en gladiateur pour assouvir sa vengeance...
Pour être convaincu d'endosser tunique de cuir, armure et manier la lance, l'acteur a demandé au metteur en scène la liberté de collaborer au scénario. A condition aussi que Maximus ne soit pas un superhéros, une caricature de brute musclée. "Ce genre de personnage me barbe au plus haut point. Il est un bon soldat, capable de contrôler ses peurs un peu plus que les autres. C'est ça qui le rend intéressant, qui permet de révéler davantage ses complexités d'être humain et de rendre son parcours plus intriguant, car c'est quelqu'un qui agit viscéralement." Ses rôles, Russell Crowe les sélectionne sans se préoccuper d'un plan de carrière à long terme. "Je vais là où on m'offre un défi nouveau. Au départ, ce n'était pas évident. Par exemple, avant que Sharon Stone me propose le rôle dans son western 'Mort ou vif', j'ai dû faire quinze allers-retours à Los Angeles, prouver ma persévérance et que je prenais ce métier au sérieux. Ça a fini par être payant. D'autres abandonnent, découragés par les refus et la politique d'Hollywood."
Crowe s'est installé en Californie, en attendant de commencer le tournage de "Flora Plum", troisième film que va mettre en scène Jodie Foster, où il aura Claire Danes pour partenaire. Il rentre d'Equateur après avoir achevé un thriller avec Meg Ryan. Aussi souvent que possible, mais pas assez à son goût, Crowe va se ressourcer au milieu de ses animaux dans sa ferme australienne, à sept heures de route au nord de Sydney, dans le Queensland. Quand il a besoin de se changer les idées, d'oublier les complexités d'un rôle pesant, il enfourche sa Harley Davidson pour des virées de plusieurs jours. "Rien de tel pour faire le vide et retrouver mon équilibre, admet-il. Surtout sans accès à un portable ou un fax."
A la différence d'acteurs au sex-appeal asphyxiant, genre Brad Pitt ou Mel Gibson, à la beauté lisse comme Tom Cruise, Russell Crowe possède une rusticité de terroir à la Depardieu et un côté bad boy à la Sean Penn, autant d'aspérités qui le rendent plus humain. Est-ce son ascendance maori, peuple polynésien de Nouvelle-Zélande ? Il ne cache pas son hérédité génétique sans pour autant en faire grand cas. "La culture maori est ancrée dans des traditions anciennes qu'il est important de perpétuer et préserver. Mises à part leurs pratiques cannibales dont on pourrait se passer sans mal aujourd'hui !"
A trente-six ans, il trouve encore le moyen d'assouvir son autre passion, la musique rock. Il a commencé à chanter en 1980, sous le nom de Rus le Roc (sic!), enregistrant une chanson au titre révélateur, "I Want to Be Like Marlon Brando". Deux ans après, il sortait son premier album. "Je pratique la musique depuis plus longtemps que le cinéma, explique-t-il. Ecrire des chansons, c'est la formidable possibilité de m'exprimer sur le plan créatif. J'appartiens à une génération pour laquelle une chanson de trois minutes est capable de résumer une très large palette d'émotions. On peut avoir une idée de mes goûts en surfant sur mon site Internet, http://www.gruntland.com. Quand je joue un personnage au cinéma, je suis à son service et à celui du réalisateur. J'aide quelqu'un d'autre à accomplir sa vision. Mais, quand je monte sur scène dans un pub quelque part en Australie, devant un public qui a payé dix dollars pour me voir ce soir-là, j'endosse toute la responsabilité de le distraire, de lui faire passer un bon moment. Pas moyen d'avoir recours au montage, au luxe de pouvoir faire plusieurs prises. C'est un moyen de garder les pieds sur terre, de rester en contact avec la réalité." On peut compter sur lui.